Retablef gris

Un beau matin d'août (non, c'était pas le matin, on se lève trop tard pour ça), nous vadrouillions dans la campagne vosgienne quand nous eûmes le besoin de ravitailler notre fier destrier blanc maculé de cadavres de moustiques en essence. Nous allâmes alors trouver ce fameux magasin (tenu par Edouard) où l'essence était moins chère qui se trouvait justement à Issenheim. Une fois le ravitaillement terminé, nous entreprîmes de visiter le village.

Après avoir visité l'église traditionnelle de style renaissance baroque, comme toutes les églises en Alsace, nous nous dirigeâmes vers une bâtisse de style religieux où nous pussions trouver ces panneaux en bois peint dont Séverine vantait tant les mérites, suite à ses lectures de guides touristiques que nous avions emmenés.

Nous entrâmes gentiment dans ce "petit"* bâtiment. Nous croisâmes alors une gente dame accoudée à sa fenêtre qui nous souhaita le bonjour d'un air interrogatif. Nous répondîmes poliment "bonjour" et continuâmes bravement vers la chapelle, sans peur et sans reproche. Nous étions sur le point de pousser la lourde et ancienne porte de la dite chapelle, quand soudain...

"Bonjour, que désirez-vous ?
- Bah on visite. 🙂
- Mais, c'est une propriété privée ici !
- Ah bon ?! (confus)"

C'était en fait un ancien couvent transformé en maison de retraite pour nonnes. En effet, ce n'était pas un bâtiment public que notre Carte de Touriste** nous autorisait à profaner. Cependant, nous fûmes gracieusement autorisés à visiter la chapelle, construite par les moines de l'ordre de Saint Antoine au XVe siècle, pour y prier. Il se trouvait qu'une personne s'y trouvât déjà en recueillement, et donc nous nous éclipsâmes en vitesse (le terme carapater semble plus approprié).

Alors que nous étions en train de nous échapper en douceur, disant poliment "Au revoir", la gente dame nous interpela. Chong Woo eut soudain peur qu'elle ait déjoué leurs manigences : ils n'avaient point prié. Mais en fait, c'était pour nous demander si nous pouvions lui consacrer un moment. Elle en profita donc pour nous raconter toute l'histoire de cette bâtisse, depuis sa fondation jusqu'à aujourd'hui. Riche histoire dont nous ne nous souvenons pas de tous les détails, surtout concernant les divers changements effectués au XIXe siècle quand les allemands et les français se chamaillaient pour savoir qui étaient les plus forts. Nous apprîmes tout de même que la chapelle avait été remaniée afin d'en déplacer le chœur. Tout en nous montrant l'emplacement de l'ancien chœur, elle nous parla du rôle d'hôpital qu'à revêtu le monastère. Et que les patients priaient devant le célèbre retable d'Issenheim.

En tant que touristes pequenots, nous ne savions pas ce que c'était que cette chose. Elle nous parla d'une peinture immense, de panneaux en bois qui s'ouvraient et de sculptures, et tenta de nous faire comprendre à partir de reproductions en carton, tout en précisant que ce n'était rien par rapport à l'original, conservé au musée d'Unterlinden, à Colmar. Elle nous montra ensuite la chapelle originale du XIIIe siècle, dont la clé de voûte avait disparu depuis. Elle nous montra aussi les détails remarquables du bâtiment principal, ainsi que les anciennes écuries, classées monument historique, dont les sœurs souhaitaient clairement la destruction (c'est vrai que le truc tombait en ruines).

La visite terminée, elle nous fit promettre devant Dieu (bon, non, quand même pas, mais presque) d'aller voir le vrai retable au musée d'Unterlinden, ce que nous fîmes dans les jours suivants. Et en effet, c'est grandiose. Donc si vous allez en Alsace, n'hésitez pas à entrer chez les gens, ils sont top sympas et vous font tout visiter avec le sourire. 🙂


Lexique

*Petit : Ne se réfère pas à la taille du bâtiment, c'est juste que chez Séverine, ils ont une malédiction chez les filles qui fait qu'elles ne peuvent s'empêcher d'ajouter des "petit" partout.

**Carte de Touriste : Titre attribué à tous les touristes du monde, devenu implicite avec le temps et les usages. Permet d'être sans gêne, grossier et méprisant envers les autochtones et leur pays/régions. Ils s'accomodent de la connardité des titulaires de cette carte en facturant les services tels que la carafe d'eau à 36 euros et en parlant derrière leur dos. (voir aussi Carte de Presse)